QUELQUES REPERES SUR UN DISPOSITIF
DE TRAVAIL INFORMATISE

à l'école élémentaire

Les enseignants se doivent de songer au dispositif de travail lorsqu'ils mettent en place l'outil informatique dans la classe ; cette réflexion est encore plus nécessaire si l'on envisage une utilisation quantitativement importante ou si l'on prend le parti de donner un rôle central à l'informatique et aux nouvelles technologies dans les apprentissages. Ainsi, se pose concrètement le problème de l'intégration à la vie de la classe. Nous pensons, il est vrai, à un mode de fonctionnement où l'ordinateur ne serait plus à la périphérie de la classe, seulement comme une sorte de machine à écrire moderne, permettant de mettre au propre, en vue de les diffuser, des textes, documents à socialiser. On peut alors considérer les choses sous un angle matériel, technique et sur un plan plus pédagogique : voici quelques conseils élémentaires qui ne prétendent qu'au bon sens et à alimenter la réflexion des collègues.

L'ordinateur est considéré ici comme un outil
au service des apprentissages disciplinaires ou plus transversaux.

Les remarques qui suivent peuvent s'appliquer à diverses modalités de fonctionnement :

atelier spécifique dans une salle informatique spécialisée, un laboratoire,
petit ensemble de postes en réseau installés au fond d'une classe traditionnelle, voire deux ou trois postes isolés,
classe atelier utilisant entre 6 et 10 PC, multimédias et connectés, qui touchent une bonne partie des activités pédagogiques...

 

Observations sur un plan pratique ou technique

Incontournable : un apprentissage spécifique du clavier pendant les premiers jours et le travail du doigté par la suite sont fructueux ; ce ne sera jamais du temps perdu. L'usage de didacticiels pour le clavier et la frappe (il existe des logiciels bon marché et des distribuciels en ce domaine) peut être judicieux : une bonne maîtrise du clavier favorise la frappe du texte, l'entrée des commandes ou des données. On peut penser que si un minimum d'automatisme n'est pas acquis, le travail sur ordinateur sera coûteux et par là-même stressant, peu motivant. Faire écrire ou réécrire exige encore plus de compétence, bien évidemment ; surtout si l'on envisage véritablement d'utiliser le traitement de texte comme outil de production, de réécriture.
Plus généralement, au delà du clavier, il est clair qu'un usage peu fréquent, trop disséminé des logiciels, induit le syndrome du magnétoscope : ainsi un adulte, faiblement passionné par la vidéo, a-t-il besoin à chaque fois de regarder la documentation pour savoir comment programmer l'enregistrement d'un film... De même, si l'on utilise peu les logiciels ou les cédéroms, les enfants, à chaque séance, cherchent les touches, l'accès aux fonctions etc. Un minimum de pratique hebdomadaire régulière est nécessaire pour acculturer au clavier, à la souris et aux principes d'une interface graphique... Il nous semble alors clair qu'on doit situer les problèmes dans le cadre d'une politique de cycle (cycle 2 / cycle 3). L'informatique au service de la pédagogie est encore une contrainte qui incite à travailler en équipe !

La disposition des systèmes informatiques doit, bien sûr, être pensée en termes d'ergonomie  et pas seulement de sécurité, de contraintes matérielles : veiller au confort, à la bonne position des élèves, surveiller l'éclairage au fil de la journée et le placement adéquat des moniteurs (écrans) pour éviter la fatigue physique ou visuelle, le stress. Une distance entre 50 et 70 cm semble la bonne, avec des polices d'affichage standard. Penser encore à réduire au mieux les reflets de tout éclairage électrique sur les écrans en les disposant de façon efficace.

 «Un écran traité contre les reflets, placé perpendiculairement aux fenêtres et à hauteur des yeux, des caractères sombres sur fond clair, et des pauses de cinq minutes toutes les heures : voilà les premières mesures à prendre pour améliorer son confort visuel.»

L'ordinateur Individuel, avril 98, n° 94, dossier d'Eric Connehaye, «Comment bien s'installer devant son PC».

Origine de l'image : P.Pelletier

Le réglage de la luminosité et du contraste doit être laissé à la convenance de l'utilisateur, pour son confort personnel ; cela évite, semble-t-il, de la fatigue visuelle. Il peut être changé selon les moments de la journée et l'éclairage ambiant pour limiter la fatigue oculaire. La pratique de l'informatique ne provoque pas de troubles visuels, si l'écran est de qualité et tous les réglages sont pertinents ; cela dit, elle contribue à révéler des défauts visuels comme la myopie... chez les enfants comme chez les adultes. Faire consulter un ophtalmologiste en cas de doute. Des filtres anti-reflet peuvent améliorer le confort sur certains moniteurs.

Des sièges réglables en hauteur semblent utiles : les enfants ont des tailles différentes et une mauvaise position fatigue le dos. Des claviers ergonomiques avec des repose-poignets ne sont pas forcément un luxe pour prévenir les crampes de la main, du poignet.

Consulter, pour plus d'informations, Les ordinateurs : variables ergonomiques à considérer en milieu d'enseignement, de Pierre Pelletier.

Apprendre tout de suite aux enfants à respecter les consignes pour allumer et éteindre les machines ; veiller en particulier à faire procéder à une fermeture propre des applications, à la bonne clôture du système surtout avec Windows 95 ... Cela évitera des problèmes techniques et une perte de temps liée à des machines qui dysfonctionnent. Ce travail d'ailleurs peut être conçu dans une perspective socialisante de civilité et de respect des autres ; sa dimension transversale est indéniable.

L'adulte responsable de l'atelier veillera à rappeler aux enfants de procéder à des sauvegardes de leurs fichiers ; il songera en amont à paramétrer au mieux les logiciels dans ce sens : sauvegarde automatique régulière toutes les 10-15 minutes, option de sauvegarde des fichiers — backup — activée, surtout avec le TdT pour préserver des jets antérieurs toujours utiles, en plus à analyser, confronter. De telles précautions sont utiles en cas de coupures de courant, de bavures de l'utilisateur, de pannes matérielles. Quand on travaille sur des projets importants, un archivage régulier de sécurité s'impose également: le pire est toujours possible en informatique avec les virus ou un crash du disque dur.

Penser à faire des documents papiers synthétiques, du genre de l'aide mémoire, des modes opératoires, songer à des affiches outils, collectives et bien visibles, sur les grandes fonctions ou procédures des logiciels utilisés ; veiller à les faire utiliser régulièrement. Les enfants apprennent vite ainsi les gestes techniques, préalables à toute production. De même, l'apprentissage du fonctionnement de l'aide intégrée aux logiciels peut libérer beaucoup : souvent les aides internes, les assistants sont très bien faits et permettent une meilleure autonomie des élèves, quand ils ont l'initiative de les consulter.
Quand cela est possible, penser à réduire les fonctions des menus, les icônes dans les barres d'outils aux seuls éléments utiles. Voir en ce domaine les TdT modernes qui disposent d'options de personnalisation : bien les adapter aux besoins et capacités des enfants évitera des recherches inutiles, préviendra des erreurs. Avec le temps et les compétences croissantes, on fera évoluer les possibilités dans le sens de l'enrichissement et de la découverte. On pourrait objecter à ce point de vue l'idée que la présence d'une icône, d'une option de menu attire l'attention et amène à s'emparer de nouvelles possibilités. En dernière analyse, il faut réagir et choisir en fonction de son public, de la curiosité et des compétences des élèves. En tout cas, une logique d'évolution, d'enrichissement s'impose. Il convient aussi de se rappeler qu'une secrétaire professionnelle ou un cadre supérieur utilise seulement 20% des fonctions d'un TdT moderne, d'un tableur puissant.

Prévoir un espace, un plan de travail utile permettant des interactions avec le papier : la prise de notes sur feuille volante ou cahier de brouillon, l'utilisation de feuilles de route, de grilles, de livres éventuellement doivent être facilitées. Sinon, bien voir que l'on s'engage vers une modalité de fonctionnement très orientée, celle du tout numérique, du tout électronique : dérive potentielle ? Il s'agirait plutôt de faire coopérer le jeune Mac Luhan et le bon vieux Gutenberg !

L'utilisation de moyens collectifs de présentation favorise le travail en atelier, sa bonne orchestration ; le recours à ces auxiliaires est d'autant plus nécessaire que le groupe est important. En fonction des moyens, on utilisera divers outils :

  • un rétroprojecteur avec des transparents, des acétates copies d'écran etc. semble un minimum, plus efficace qu'un tableau noir,
  • une tablette de rétroprojection est efficace dans l'ensemble, si l'on dispose d'un rétro adapté avec une lampe puissante ;
  • un boîtier convertisseur PC-TV permettant la sortie d'un ordinateur sur le grand écran d'une télévision est pratique avec des groupes réduits ; solution économique ( entre 600 et 1500 fr. suivant les modèles) si l'on dispose d'un téléviseur ; piste intéressante si l'on possède un magnétoscope. Certaines cartes vidéos ont des sorties sur les téléviseurs Pal / Secam : bien y songer lorsqu'on s'équipe car le surcoût est alors minime..
  • l'idéal inaccessible aux écoles étant un vidéoprojecteur. Rêvons…aux 50 000 fr. nécessaires pour un bon modèle, utilisable en pleine clarté.

Avec ces moyens, le maître peut commenter, animer, présenter des écrans etc. et pas seulement sur un plan technique ! Cela dit, un fonctionnement pédagogique qui essaie d'optimiser l'usage des NTIC dans la classe remet en question un modèle frontal et une pédagogie de l'ostension ; le maître avec l'informatique peut enseigner non plus seulement face à la classe, mais aussi «par derrière l'épaule». On peut penser toutefois que quelques moments de type transmissif peuvent être efficaces, s'ils restent localisés, ponctuels avec des objectifs très clairs. Enfin, lors de mises en commun, des confrontations ces outils sont évidemment très fonctionnels.

 

Réflexions sur un plan plus pédagogique

Même si l'on possède suffisamment de micros, on peut croire qu'il est intéressant de placer plusieurs élèves devant un même poste, pour favoriser des échanges et des interactions. Des binômes ou des trinômes constituent sans doute un dispositif idéal en vue d'un travail coopératif. On peut croire que mettre les enfants en situation de résoudre des problèmes complexes en équipe, en coopération sur un plan local voire à distance via un réseau comme l'Internet sera profitable aux apprentissages. Le travail à distance, avec des équipes sur un autre site, oblige à communiquer par l'écrit (messagerie, chat): voir l'aspect positif du passage obligé par l'explicitation verbale écrite, l'intérêt des conflits dits socio-cognitifs qui ne peuvent que surgir etc. Le réseau Internet permet une forme nouvelle de téléprésence à bien exploiter, le recours à des compétences externes : on peut faire appel à des experts extérieurs grâce à des forums, en formulant des questions et des demandes. Un des principaux intérêts réside dans le traitement en quasi temps réel : le Net abolit l'espace et le temps, en quelque sorte, si l'on fait abstraction du problème de la langue.
Contrairement à beaucoup de légendes, l'informatique n'isole pas les individus, ne les incite pas au repli sur eux-mêmes — en tout cas, pas plus que la lecture, vice solitaire par essence ; bien au contraire, elle peut susciter des dialogues, des coopérations, des tutelles entre pairs. Prenez la peine d'observer les enfants : par opposition à la télévision, les rassemblements devant un moniteur ne sont pas passifs ; de nombreux échanges et interactions se mettent spontanément en place. Il s'agit donc simplement de les favoriser et de les exploiter en faveur des apprentissages : le tutorat entre pairs constitue une forme de ces interactions, il favorise la réflexion et bénéficie aussi bien à l'élève avancé qui explique, aide etc. qu'à celui qui est demandeur.

Il convient dans le but de rendre possible le travail en commun de disposer les ordinateurs de façon à favoriser, inciter un authentique travail en équipe : l'idéal, comme pour tout travail de groupe, est de placer chaque équipe sur un bureau différent équipé d'un seul ordinateur. Prévoir de disposer les tables, si l'on peut, de manière à limiter les sources et occasions de distractions mutuelles. Cela dit, des interactions entre les groupes peuvent être profitables et mises en musique par le maître. Dans ce sens, si l'on a une grande salle spécialisée, l'usage d'une messagerie interne entre les groupes peut être une piste, en vue d'un travail plus coopératif. Dans la même direction, songer aux possibilités — en réseau local — de partage de ressources : répertoires et fichiers ... Ces ressources peuvent être de natures diverses : données brutes, notes, documents, textes voir outils.

Comme dans un travail de groupe habituel, il faut progressivement sensibiliser les élèves à assumer un rôle spécifique au sein de l'équipe et bien faire partager les tâches : il faut apprendre à s'organiser et travailler de façon efficace, ce qui ne se décrète aucunement. Au début, cela a un coût à assumer : la démarche peut sembler un peu chaotique, hésitante, mais les interactions seront sans doute profitables et le dispositif se rodera. Un secrétaire du groupe peut ainsi prendre des notes pour garder les consignes passées par le maître, fixer les remarques des membres de l'équipe, voire des élèves d'un autre groupe interagissant ou, au fil de la tâche, noter un résultat, un contenu lu sur l'écran etc. On peut croire qu'un animateur désigné ou choisi, responsable de l'équipe, permettra de garder une bonne cohésion du groupe.
Concrètement, dans un dispositif de réécriture à trois par exemple, après un moment commun, un élève secrétaire peut frapper pendant qu'un autre relit sur l'écran et contrôle l'orthographe ou le bas niveau linguistique, enfin, un troisième peut aider le secrétaire à reformuler, améliorer, enrichir le texte. Bien sûr, des rotations des tâches au fil des jours sont nécessaires : pas question de fabriquer des élèves sur le modèle des ouvriers spécialisés dans une perspective taylorienne de rendement ! Pas question de pérenniser les seules compétences acquises et d'enfermer dans un statut : l'essentiel réside bien dans les apprentissages évolutifs et communs et non dans un produit fini à réaliser le plus efficacement, le plus vite possible. Cf. Cl. Garcia-Debanc, L'élève et la production d'écrits, 1990. Le maître, pour rendre la gestion efficace, fera tenir à jour un tableau rendant compte des tâches assumées au fil des travaux et des jours.

Pour augmenter l'efficacité des équipes, comme d'habitude il convient de bien lancer le travail et de veiller au démarrage de l'atelier. Des consignes claires et précises sur des tâches bien définies et délimitées permettent seules de mettre en place des vraies situations d'apprentissage.

Dans cette direction, il serait peut-être bon de distribuer à l'avance un document papier circonstancié et détaillé sur la tâche à accomplir dans l'atelier : plan de travail, feuille de route, fiche de suivi etc. Les élèves pourraient avoir lu le document avant de réaliser l'activité et avoir esquissé un projet même rudimentaire. Une feuille de route balisant le travail de recherche sur un cédérom ou encore un itinéraire minimal, avec parcours imposé et balisé par des signets, facilite la navigation dans un hyperdocument / hypertexte et favorise le prélèvement des informations. Comment éviter la noyade dans l'océan des données ? Il faut veiller à la bonne navigation en fournissant des outils de repérage.

C'est encore plus évident avec la toile de l’Internet : boussoles et portulans d'abord ! En classe, il convient plutôt d'avoir la perspective du navigateur que celle du butineur ou fureteur; à la rigueur, on pourrait admettre le comportement de l'explorateur mais doté d'un projet clair et d'informations préalables — ne voir aucune allusion commerciale derrière ces mots ! Butiner et papillonner ne relèvent guère des apprentissages spécifiques de l'école, cela concerne plutôt la flânerie privée, l'errance domestique.
On peut croire que dans un cadre scolaire une «exploration assistée», perçue comme une approche initiatique, peut avoir seule raison de la toile planétaire W3. L'élève demeure un explorateur, mais son territoire, s'il n'est pas fermé comme l'est le contenu d'un document livresque ou d'un cédérom unique, a été préalablement balisé par le professeur. Des sites ont ainsi été repérés, qualifiés, présélectionnés selon divers critères par l'adulte et l'enfant peut encore compter sur le fil d'Ariane d'un questionnaire pour trouver sa voie dans le dédale virtuel des ressources.

On pourrait souligner encore que les interfaces de communication des cédéroms comme du Web avec une multiplicité d'icônes séduisantes, d'images cliquables attrayantes, de liens tentateurs favorisent le détour. Les enfants sont alors tentés de «cliquer sur tout ce qui bouge» en quelque sorte, d'où surgit le risque de l'égarement. On voit ici combien il est nécessaire de développer la réflexion et l'esprit critique des élèves. Il vaut mieux les induire à se limiter à des informations traitables et utiles plutôt que de ramener dans leurs filets un magma gigantesque de données, brutes et confuses ; c'est l'occasion de réinterpréter et méditer la formule classique : «Trop d'informations tue l'information.»
Du matériel d'appoint sur papier est utile avec des didacticiels voire des cédéroms, surtout si l'on sort des simples exerciseurs, des drills : il semble même que plus la leçon, les informations électroniques reposent sur des éléments textuels, plus le recours à ces compléments soit fructueux. Hannafin et Peck (The design, developpment and evaluation of instructional software, New-York,1988) ont ainsi constaté qu'un même contenu présenté en interaction, à la fois sur papier et sur écran, demande moins de temps à un étudiant pour être efficacement traité que s'il est seulement fourni de façon électronique. Le gain, l'économie d'énergie est-on tenté de dire, serait de l'ordre de 40% quelle que soit la discipline concernée voire l'âge des apprenants! L'interaction des canaux de communication, des modalités de présentations ne peut qu'avoir un rôle positif. Cependant, il ne faudrait pas tomber dans la dérive d'une surcharge.

Il convient notamment de bien savoir que la lecture sur écran semble poser des problèmes, aux origines précises encore indéterminées. Ainsi, D.A. Schell (Research notes, Monthly newsletter of the document design center, 93 (2), 2) évoque plusieurs recherches tendant à prouver qu'il est plus difficile de lire sur écran que sur papier. La vitesse de lecture serait réduite de 20 à 30%, de même que la faculté de localiser des erreurs, des coquilles etc. ou de mener des activités de résolution de problème. Il convient donc d'en tirer les conséquences pédagogiques : il est ainsi utile d'imprimer des documents pour un travail approfondi de lecture et recherche, d'imprimer des jets initiaux en vue de leur révision / réécriture etc.

Le besoin de griffonner, surcharger, raturer, annoter, utiliser des symboles et des dessins etc. est aussi ressenti par beaucoup d'adultes, à divers moments d'un travail intellectuel : lors d'une lecture-analyse, d'une recherche d'idées, lors du traitement de consignes, en phase de révision... Souvent, un adulte expert comme un enseignant, un intellectuel a besoin pour construire la signification d'un texte complexe de passer par un traitement écrit : on surligne, on souligne des informations essentielles, on entoure des mots-clés, on structure en numérotant en marge... Bref, on hiérarchise ; Bernard Stiegler, «Machines à écrire et matière à penser», in Genesis N°5, 1994, parle alors de «techniques d'appropriation où la lecture est indissociable de l'annotation. On ne peut refuser aux enfants à l'école cette aide, cette technologie intellectuelle en quelque sorte ; la complémentarité papier / écran est donc nécessaire, on peut même jouer sur des interactions fructueuses. On peut penser que l'école élémentaire peut contribuer à cet apprentissage fondateur d'une lecture critique outillée par l'annotation, de même qu'aujourd'hui elle initie les enfants à la prise de notes. Les logiciels sont en ce domaine encore trop peu efficaces ou puissants, même si une évolution se fait sentir ; Word de Microsoft permet désormais de surligner des passages, d'annoter, voire de comparer visuellement des versions différentes d'un écrit (cf. dans le menu, la rubrique Outils, Suivi des modifications : 1. afficher les modifications 2. comparer des documents).

Un plan de travail, un échéancier de l'atelier, s'il occupe plusieurs séances, permettront aux enfants de voir la logique d'ensemble et d'anticiper clairement ; la mise en place d'un projet explicite, d'un contrat est là encore un élément favorable. Dans le cas de travail différencié, individualisé à la carte, un plan de travail personnel peut être proposé ; on tombe alors dans la logique du contrat.

Outre la prise de notes sur les contenus, préférable à la copie d'écran systématisée ou à l'impression forcenée, le traitement de l'information par un passage obligé par l'écrit est sans doute un préalable à tout apprentissage : songer à cet aspect dans le dispositif. Les enfants ne doivent pas être cantonnés dans le rôle d'un copieur-colleur, d'un simple compilateur : on réinventerait ainsi des dérives médiévales et scolastiques par ce biais et on renforcerait les déviances impulsées déjà par l'existence des photocopieuses. Il s'agit d'abord bien plutôt de transformer les données en informations pour construire des connaissances.
J. Bruner dans The Culture of Education, en 1996, va plus loin et met ainsi l'accent sur l'élève interprète : les apprenants doivent percevoir que plusieurs mondes existent, que la réalité et le sens sont des construits ; l'art de négocier demande de construire de nouvelles significations afin d'harmoniser nos rapports avec les autres. Plus que traiter de l'information, plus que classer des connaissances, il convient d'amener les élèves à construire les significations à attacher aux choses. Dans ce sens, un fonctionnement intersubjectif de la pensée est alors nécessaire. Des moments d'échange et de synthèse au fil d'une séquence ne peuvent que profiter à la clarté et à la régulation du travail. Entre élèves, ces interactions sociales sont évidemment utiles : selon Barbieri et Light, «Interaction, gender and performance on a computer-based problem solving task», in Learning and Instruction, 2, 1992, les progrès constatés chez les apprenants sont en proportion directe des interactions repérées entre eux pendant les séances de travail informatisé. Les enseignants pour aller dans le bon sens doivent donc les favoriser.
Judi Harris, à l'instar de Socrate, dans «Educational Telecomputing Projects : information collections», in The computing Teacher, n°7 d'avril 1995, a ainsi souligné la distinction fondamentale entre l'information recueillie et la connaissance.
«
La connaissance résulte du travail de transformation que l'individu exerce sur l'information reçue. La connaissance est privée alors que l'information est publique. La connaissance ne peut être communiquée; seule l'information peut être partagée. A chaque tentative de partage de la connaissance, cela se traduit en information que les apprenants choisissent d'absorber ou de transformer en connaissance s'ils le désirent. Cette distinction entre connaissance et information n'est pas que sémantique. Elle détermine la structure des activités de télématique pédagogique. Les activités qui réussissent le mieux à motiver les élèves sont celles qui amènent l'élève à recueillir et partager l'information, et à l'exploiter pour générer des idées plus complexes. »

Dans le cas du Web, il faudrait au préalable armer l'élève et le collégien de très explicites et solides critères de sélection. Grâce aux moteurs de recherche (Altavista, Yahoo, Nomade etc.) qui explorent le contenu de toutes les pages W3, les enfants pourront trouver de trop nombreux documents sur lesquels ils devront exercer leur jugement, voire leur esprit critique :

  • Devront-ils tout lire ?
  • Faut-il accorder du crédit à tout ce qu'on lit ?
  • Comment vérifier les informations, les recouper ?
  • Faut-il faire appel à un spécialiste, à un expert, au maître pour aider à valider, apporter des éléments de décision ?

Il faut faire comprendre que n'importe qui peut écrire n'importe quoi sur le Web, quelle que soit sa qualification, son degré d'expertise, ses intentions, son honnêteté intellectuelle... C'est une chance, mais aussi un risque si l'on se contente d'être des récepteurs passifs. Une éducation nouvelle reste à construire pour amener à évaluer et valider les sources, sur le modèle des historiographes ou sur le paradigme de l'humaniste rationnel. Il faut ainsi installer des compétences exégétiques ou renoncer à l'Internet ; tout le problème est là pour l'élémentaire.

Ainsi, malgré l'autonomie présupposée et induite par les (Nouvelles) Technologies, le maître a encore un rôle à jouer dans les apprentissages appuyés sur l'outil informatique, au delà de l'organisation initiale de la séquence et de la détermination des objectifs : d'abord, l'enseignant peut circuler derrière / entre les différents postes pour suivre le travail effectué, observer et évaluer les stratégies adoptées, la progression dans la tâche de chaque équipe. Son rôle va bien plus loin que la surveillance ou l'évaluation, il convient donc de réfléchir aux conditions d'une tutelle efficace; certes, cette intervention ne peut être constante, mais elle peut se localiser à des moments clés à bien identifier. On peut naïvement présupposer que l'enseignant humain est susceptible d'apporter une aide au delà de simples problèmes de cuisine technique : le mammifère bimane adulte à station verticale, contrairement à des discours médiatiques, possède encore un avenir dans les salles de classe. Bien cerner la zone et les modalités d'intervention, mais éviter l’assistanat..

Un idéal pédagogique serait de tendre à accroître les interactions entre élèves et à réduire au minimum nécessaire les échanges avec le maître, sans les supprimer ; cela ne veut aucunement dire les ramener à rien, bien entendu. Une logique d'intervention différenciée ne peut qu'être utile ; certains enfants peuvent en grande partie, sur de nombreuses tâches, se passer de nous pour travailler et apprendre. Il faudra bien un jour l'admettre, même si c'est douloureux pour notre ego, même s'il faut cesser d'être des professeurs, stricto sensu, c'est à dire des enseignants qui parlent en public, devant des élèves récepteurs, des venditores verborum pour parler comme le romano-berbère Saint Augustin. D'autres ont plus besoin de nous en termes d'assistance, d'explications sur des difficultés, de relance ou recadrage, voire d'encouragement ou de stimulation sur un plan simplement psycho-affectif; cela reste vrai même avec des ordinateurs et des tutoriels, ne pas l'oublier.

 Thérèse Laferrière de l'Université Laval au Québec, in Réaliser la mission éducative, celle de libérer l'humain, avec les Ntic, constate qu'avec un dispositif informatique,
 
  • l'enseignant peut laisser l'ordinateur servir de TUTEUR à certains apprenants, usant alors de tutoriels, d'exerciseurs qui permettent une individualisation efficace du travail etc.,
 
  • afin de pouvoir consacrer du temps soit à une équipe soit à tel élève qui en a besoin,
 
  • pendant que d'autres réalisent une tâche avec l'ordinateur OUTIL, procédant par exemple à des recherches documentaires, écrivant au TdT ou encore communiquant avec l'aide d'une messagerie avec des partenaires en réseau...

Certes, cela demande un équipement important de la classe et en réseau mais c'est sûrement une piste pour l'avenir. Cela implique encore, comme dans les cours à plusieurs niveaux d'ailleurs, de garder une unité au groupe d'apprentissage dans son ensemble.

Les modalités d'évaluation des travaux d'élèves doivent être enfin clarifiées, explicitées. Des grilles habituelles et bien critériées seront encore utiles ici. Dans ce sens, privilégier les logiciels et didacticiels permettant de pister à la trace l'itinéraire, la stratégie des enfants ; cela se fait à travers un mode historique, l'impression des travaux, des résultats etc. : il est sans doute essentiel de garder des traces écrites, sur papier pour le maître comme pour les enfants. Verba volant, scripta manent, disait le vieil adage, qu'il convient d'adapter à la situation électronique. Il est clair que dans l'analyse de ces traces, de ces itinéraires historiés, les élèves doivent être associés : cela permet de traiter des différentes stratégies adoptées, d'analyser les erreurs, de comprendre leur logique, leur pourquoi.

Enfin, même si les ordinateurs par leur nouveauté séduisent et fascinent les jeunes, gardons à l'esprit qu'eux aussi peuvent induire du stress chez les enfants, comme d'autres pratiques scolaires d'ailleurs. Rien n'est magique contrairement à des discours thaumaturgiques du genre : « J'ai introduit des ordinateurs dans ma classe et là, ô miracle ! les dyslexiques se sont mis à lire et à écrire, les sourds à entendre etc.»
Trop souvent, par exemple, les filles, vu le poids de nos modèles culturels, sont plus réticentes, en retrait, (J. Willinsky, Tempering the masculinities of technology..., American Educational Research Association, 1996) même s'il est vrai que les choses évoluent. L'anxiété qu'on a pu observer chez les filles face à l'ordinateur semble ainsi disparaître avec la banalisation de l'outil, même si dans l'ensemble elles se jugent encore moins compétentes que les garçons. Voir Robertson et alii, «Computer attitudes in an English secondary school», in Computers and Education, n° 24,1995. Ces images que l'on a de soi, ces croyances face à l'objet sont à prendre en compte dans la pédagogie. Autre chiffre indicateur, selon
l'Institut de Technologie de Géorgie : en février 1998, les internautes de sexe féminin représentent 38,4% en moyenne dans le monde, contre 33% moins d'un an auparavant. Cela dit, en Europe, les hommes constituent encore 78% des surfeurs!
Certains enfants également ont moins de connivence initiale avec l'outil informatique : indéniablement, en posséder un à la maison favorise le contact. On remarquera au passage qu'en général ceux qui ont un PC multimédia à demeure rencontrent aussi dans l'environnement familial des livres variés, des journaux, des modèles langagiers et argumentatifs pertinents chez les parents etc.: il est donc important que l'école prenne en compte ces écarts et s'efforce de réduire ces clivages socio-culturels.
Enfin, une trop grande complexité des tâches demandées, des séances trop longues, fatigantes, des travaux répétitifs ou monotones, un manque de maîtrise des rudiments techniques peuvent faire croître chez tous les enfants — comme chez les secrétaires, les cadres des entreprises ! — du stress et de l'ennui. [ Flèche du Parthe : des séances de travail classiques, sans informatisation aucune, peuvent provoquer les mêmes effets.] On voit les conclusions qu'il faut en tirer : durée raisonnable des séances, pauses, variété des situations de travail, moments d'échanges oraux entre bipèdes sans plumes, détente et sourire etc. L'humour reste soluble dans la PAO — pédagogie assistée par ordinateur.
Des séances de deux heures au maximum semblent raisonnables : des travaux trop longs, répétés tous les jours, surtout sans pause, avec un stress concomitant, provoqueraient des troubles mémoriels, voire de l'agressivité chez certains enfants. Cf. études de Marcel Rufo, professeur en pédopsychiatrie, 1990, de Jean Bourque, 1992, citées dans l'Ordinateur Individuel, avril 1998.

L'ordinateur n'est qu'un outil stupide mais puissant qu'il convient de bien utiliser dans la classe. Sans réflexion, parachuté, il est sans doute même dangereux ; il n'amène alors qu'à une dérive sur l'outil dans le meilleur des cas : «On apprend l'informatique. » ou à des situations occupationnelles ne construisant rien chez les enfants. Un vrai apprentissage passe par un dispositif organisé et orchestré par le maître et totalement lisible, dans ses tenants et aboutissants, pour les enfants. Enfin, au delà d'un enthousiasme mutuel fort, motivant aux débuts, si l'on n'a pas de vrais projets impliquant réellement l'usage des nouvelles technologies, si l'on ne fonctionne pas sur un certain modèle compatible de classe, l'informatisation des apprentissages sera inéluctablement un four. Il faut avoir conscience que cela ne dépend en rien du seul charisme du maître ; au bout de quelques mois ou de deux ans, le soufflé retombera et il restera beaucoup d'amertume... Comme pour les B.C.D., la vraie question est de durer, donc d'avoir un projet.

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Emile Simonnet