STRUCTURE DU PETIT POUCET
Les fonctions essentielles dans la version de Perrault : essai de repérage.
Le conte du « Petit Poucet» semble être aux origines un récit initiatique relatant la quête d'un protagoniste enfant pour entrer dans l'âge adulte. L'enfant doit affronter la mort en combattant l'Ogre : une étymologie probable du mot ogre étant Orcus, dieu de la mort étrusque associé par les Romains à Pluton ; certains pensent que le vocable s'est croisé, et donc enrichi de résonances, avec le mot Oïgour, servant à désigner les Huns de terrible mémoire. Le Poucet, à travers une série d'obstacles et d'épreuves, doit mourir symboliquement en tant qu'enfant, tel le vieil Adam, pour renaître adulte, à l'issue d'un séjour au coeur de la Forêt, espace inhabituel. Il reçoit l'initiation dans la cabane (i.e. la maison de l'ogre) ou la grotte (le rocher creux). Il sera son propre passeur et réussira les diverses épreuves affrontées par la ruse et la clairvoyance : le Poucet prévoit, en effet, anticipe, il sait lire tous les signes ou les symboles comme les cailloux blancs, de même qu'il sait voir au loin la lueur dans la forêt, en prenant de la hauteur.
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Situation initiale ###
- Manque résultant d'un déséquilibre
déjà établi : situation méprisée du cadet,
pris comme souffre-douleur et considéré comme niais ; sa position
est assez comparable à celle de Cendrillon. De plus, un déséquilibre
nouveau s'ajoute avec l'arrivée d'une famine et la misère accablante
des parents.
- Mandement du destinateur / acceptation de mission par le héros
Indirectement car le Poucet entend en se cachant le projet des parents de perdre
leurs enfants dans les bois.
- Contrat passé entre le héros et le destinateur
Pas un contrat explicite : mais le Poucet fait face pour lui et ses frères
car il ramasse des cailloux blancs en prévision ; il accepte la responsabilité
du groupe.
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Transformation ###
1. Epreuve de qualification :
- Départ du héros : départ de la famille dans la forêt pour la corvée de fagots. - Assignation
d'une épreuve / passation de l'épreuve : qualification du
héros / disqualification des faux héros
-
Réception d'un objet magique, rencontre d'un adjuvant qui permettra
d'accomplir la quête. |
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2. Epreuve centrale :
- Déplacement dans l'espace : on se rapproche du lieu où est l'objet de la quête, en traversant la forêt. Une lueur guide vers la maison de l'ogre, i.e. l'antre du monstre cannibale. Le groupe des frères s'y réfugie. Ce sera le lieu de l'initiation, substitut de la cabane isolée dans les bois, traditionnelle des récits initiatiques, et c'est bien aussi le lieu où se trouve le trésor de l'ogre qui comble le manque initial. -Combat / marque reçue par le héros/ victoire : dans ce qui est au fond la maison de la mort, Poucet triomphe de son adversaire par la ruse, avec l'échange des couronnes et des bonnets. Il sauve ainsi ses frères et trompe l'ogre qui égorge ses filles ; le monstre lui ne sait pas lire les signes et n'y voit goutte. Son esprit sera constamment enténébré (cf. le vin aussi). |
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Gustave Doré, illustrations pour le Petit Poucet |
- Retour du héros vers le point de départ du voyage : Fuite de retour vers la maison mais le groupe est poursuivi par l'ogre.
Mais il y a comme un redoublement de l'épisode de lutte contre l'ogre : nouveau combat contre le monstre vorateur avec le vol des bottes sous le rocher creux — sans doute est-ce ici un souvenir de la grotte initiatique. Les bottes serviront d'objet magique et de marque (i.e. preuve) de la victoire.
- Transgression d'un
interdit par le héros |
- Agression du héros
/ secours du héros
Fonction non actualisée dans la version de Perrault. Le Poucet
n'est pas mis en mauvaise posture et il n'y a pas de faux-héros tangibles
— à l'inverse du «Merle Blanc» où ce sont les
frères, au contraire de «Cendrillon» où les soeurs
occupent ce méchant rôle.
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3. Epreuve de glorification
:
- Arrivée incognito du héros / prétentions
mensongères des faux héros
Retour de Poucet inconnu à la maison.
Mais on ne découvre pas vraiment de prétentions de faux héros
: les frères qui, certes, n'ont aucunement aidé leur cadet comme
adjuvants et qui n'ont pas été vraiment des co-initiés
efficaces ne se révèlent pas toutefois ici comme opposants. On
devine quand même une tension latente et résiduelle avec l'insistance
sur l'aîné "Pierrot" présenté comme le
préféré de la mère. A opposer aux deux frères
aînés dans le «Merle
Blanc» qui cherchent à tuer leur cadet dans
la carrière d'or.
- Désignation d'une
épreuve qui permet de trier héros/ faux héros / passation
de l'épreuve, réalisation d'une tâche difficile
La situation de l'armée aux frontières à 200 lieues est
bien une tâche difficile, une épreuve finale de glorification à
accomplir pour / devant le roi.
- Réussite du héros à l'épreuve grâce à la "marque" reçue précédemment : le Poucet brille publiquement en portant les messages de l'armée le soir même, grâce aux bottes de sept lieues.
- Reconnaissance du héros
/ identification des faux héros
Reconnaissance de tous pour Poucet ; réussite et gloire. Ses frères
ne sont cependant pas stigmatisés comme imposteurs.
- Sanction : récompense
du héros / punition des faux héros
Comme dans la version de «Cendrilllon» de Perrault, les frères,
loin d'être punis pour leur méchanceté initiale, seront
établis par leur cadet méprisé — opposer à
la version de «Cendrillon» des Grimm où les comptes sont
soldés cruellement. Perrault semble soucieux de proposer des valeurs
morales décentes, très sociales et très chrétiennes
avec le pardon des offenses.
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Situation finale ###
- Disparition du manque : L'équilibre est doublement rétabli
: 1. avec la disparition de la misère pour Poucet et les siens ; 2. il
n'est plus considéré comme l'idiot de la famille.
- Entrée en possession de l'objet par le héros. Désormais,
Poucet est installé comme adulte autonome : il dispose d'un bon métier,
celui de courrier , il possède de l'argent à volonté et
il est dans la posture d'un vrai chef de famille qui dote ses frères,
les établit et il aide même désormais ses ascendants...
Ainsi, plusieurs
critères fréquemment présents dans un récit d’initiation
se retrouvent dans le conte du «Petit Poucet» selon Perrault.
1. L’initiation se manifeste bien dans une confrontation avec la mort
en vue d'une nouvelle naissance et cela dans une situation inhabituelle (errance
et quête dans la Forêt archétypale ou primordiale).
2. Une série d'épreuves est imposée au protagoniste. Le
héros doit se servir de la ruse, et non de la force brute, pour surmonter
les divers obstacles et il réussit ces rituels de passage.
3. Avant l’initiation le héros apparaît comme enfantin, innocent
/ ignorant, niais (le nice des textes médiévaux)…
Il a alors besoin de l’abri familial, de la protection de ses ascendants
et il est plutôt mal assuré, voire peureux. Il est frappant de
voir chez Perrault que durant l'initiation le Poucet est dépourvu d'aide
; il doit s'en sortir seul, sans auxiliaire, ne pouvant compter sur ses frères.
4. Après la réussite de l'initiation, le héros peut se
débrouiller seul dans le monde des adultes.
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