Le conte de la mère-grand : version nivernaise

Le grand folkloriste français Paul Delarue a recueilli plus de trente versions différentes de l'histoire du petit chaperon rouge dont certaines ne doivent rien au conte de Perrault ou à toute autre forme d'écrit. Parmi celles-ci, la version nivernaise, consignée à la fin du XIXème siècle, mais remontant vraisemblablement à une tradition orale ancestrale.

C'était une femme qui avait du pain. Elle dit à sa fille :

— Tu vas porter une époigne* toute chaude et une bouteille de lait à ta grand.

Voilà la petite fille partie. A la croisée de deux chemins, elle rencontra le bzou* qui lui dit :

— Où vas-tu ?

— Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.

— Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des Aiguilles ou celui des Épingles?

— Celui des Aiguilles, dit la petite fille.

— Eh bien ! moi, je prends celui des Épingles.

La petite fille s'amusa à ramasser des aiguilles; et le bzou arriva chez la Mère grand, la tua, mit de sa viande dans l'arche et une bouteille de sang sur la bassie. La petite fille arriva, frappa à la porte.

— Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille mouillée.

— Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute chaude et une bouteille de lait.

— Mets-les dans l'arche mon enfant. Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie.

Suivant qu'elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :

— Pue!... Salope!... qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.

— Dhabille-toi* mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers moi.

— Où faut-il mettre mon tablier?

— Jette-le au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin.

Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses, elle lui demandait où les mettre. Et le loup répondait : " Jette-les au feu mon enfant, tu n'en as plus besoin. "

Quand elle fut couchée, la petite fille dit :

— Où faut-il mettre mon tablier?

— Jette-le au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin.

Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses,

elle lui demandait où les mettre. Et le loup répondait : " Jette-les au feu mon enfant, tu n'en as plus besoin. "

Quand elle fut couchée, la petite fille dit :

— Oh! ma grand, que vous êtes poilouse!

— C'est pour mieux me réchauffer, mon enfant!

Oh ! ma grand, ces grands ongles que vous avez!

C'est pour mieux me gratter, mon enfant!

— Oh ! ma grand, ces grandes épaules que vous avez!

— C'est pour mieux porter mon fagot de bois, mon enfant!

— Oh ! ma grand, ces grandes oreilles que vous avez!

— C'est pour mieux entendre, mon enfant!

— Oh ! ma grand, ces grands trous de nez que vous avez!

— C'est pour mieux priser mon tabac, mon enfant!

— Oh ! ma grand, cette grande bouche que vous avez !

— C'est pour mieux te manger, mon enfant!

— Oh ! ma grand, que j'ai faim d'aller dehors!*

— Fais au lit, mon enfant!

— Oh ! non, ma grand, je veux aller dehors.

— Bon, mais pas pour longtemps.

Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et la laissa aller.

Quand la petite fut dehors, elle fixa le bout du fil à un prunier de la cour. Le bzou s'impatientait et disait : "Tu fais donc des cordes? Tu fais donc des cordes ? "

Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à bas du lit et vit que la petite était sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.

Petit lexique nivernais :

époigne : petit pain fait avec des rognures de pâte

bzou : loup-garou

dhabille-toi : déshabille-toi

avoir faim d'aller dehors : pour exprimer un besoin pressant