LANGAGES ET CODES AU CINEMA

I. Définition

II. Langage du cinéma

L'image photo mouvante
Les mentions écrites
Le son phonique
Le bruit
La musique
Les catégories de son
Son et temporalité

I. Définition

Le langage verbal utilise une seule matière d'expression, phonique, mais il comporte plusieurs codes. La langue n'en représente qu'un seul (règles de grammaire...); il existe par exemple des codes sociaux qui interviennent dans la communication: le code de politesse, entre autres. Inversement, un même code se manifeste d'une manière manuelle ([applaudir]) ou phonique («bravo»). La "désapprobation" peut se manifester par des sifflets, de manière labiale, par des cris, de façon phonique...

Un code peut se transposer d'une matière d'expression dans une autre: ainsi, les codes picturaux du XIX ème influencent l'image photographique; certaines formes esthétiques propres au peintre Auguste Renoir se retrouvent chez son fils, le cinéaste Jean Renoir.
Le western, au cinéma, ne fait que reprendre des codes narratifs et culturels antérieurs, dont on trouve l'origine dans des chansons folkloriques de l'Ouest, dans la littérature populaire américaine, dans des mélodrames voire des bandes dessinées. Par exemple, la place de la femme, du cheval, le code de l'honneur ou le duel final... ne sont pas propres au cinéma !

The Great Train Robbery

Il faut ainsi bien distinguer les codes et le langage ; dans l'analyse du cinéma, il est possible de rechercher les unités significatives minimales (comme en linguistique, on a isolé les les monèmes ou les phonèmes), mais les chercheurs ne sont pas d'accord. Ainsi pour Eisenstein, l'unité de base est le plan, mais pour certains, c'est le photogramme (c.a.d. une image sur la pellicule). Pour d'autres encore, le cinème, c.a.d. un objet filmé, constitue l'unité de la deuxième articulation et le plan l'unité de la première articulation. Rappelons que selon Martinet, le langage humain est doublement articulé : le niveau de la première articulation dans le langage verbal est celui des monèmes (ces unités sont les morphèmes et lexèmes : donn-er-ons) et la deuxième articulation renvoie aux phonèmes, les 36 "sons" de base retenus par le système du français pour signifier des oppositions de sens. .

Cette confusion résulte d'un malentendu; comme il y a plusieurs codes en jeu au cinéma, il y a plusieurs unités minimales. On peut utiliser plusieurs unités d'analyse. Avant d'ergoter sur les unités minimales, il faut déterminer les différents codes à l'oeuvre.

II. Le langage du cinéma

Le langage cinématographique est hétérogène car il combine cinq matières d'expression, qui se présentent dans la bande image et dans la bande sonore, depuis le parlant:

Bande image

Bande sonore
  • le son phonique, c.a.d. les paroles
  • le son musical
  • le son analogique, c.a.d. les bruits.

Le langage radiophonique n'utilise que la bande sonore; la simultanéité des deux bandes est propre au langage du cinéma parlant (/muet).

On remarquera que le cinéma dit muet ne l'est pas vraiment strictement : en effet, les personnages s'expriment aussi par des discours, des paroles et dialoguent; seuls les spectateurs ne les entendent pas.

La bande sonore participe activement à la narration comme à sa structuration — par son rôle dans le montage — ou à son rythme ; elle oriente, en effet, et construit la perception du réel : dans la séquence de la tentative de suicide de Susan Alexander chez Welles, par exemple, nous entendons distinctement deux sons nécessaires à l'interprétation : le souffle, les râles de l'épouse de Kane et les coups que donne celui-ci pour enfoncer la porte de la chambre ; mais nous ne voyons pas le mari inquiet qui reste hors-champ et nous distinguons mal les traits de Susan. C'est donc la rencontre des deux informations sonores croisées avec la fiole au premier plan qui nous donne à entendre ce qui se passe car nous en tirons une inférence sur la situation. La bande sonore joue ainsi un rôle important à ne pas perdre de vue.

A) L'image photo mouvante

a) Niveau de l'analogie photographique

L'image présente une particularité communicative par rapport à d'autres objets signifiants: elle a un statut analogique qui se manifeste dans la ressemblance perceptive globale avec l'objet représenté.

A première vue, naïvement, la photo semble un message objectif, sans code. On peut croire qu'elle reproduit mécaniquement le réel, mais son objectivité est mythique, car l'image n'est pas neutre, elle est connotée (cf. Roland Barthes). De plus, il y a intervention des éléments techniques, du point de vue, du cadrage... Les couleurs elles-mêmes varient selon les systèmes, le noir et blanc transforme. La photo réduit l'univers à deux dimensions.

En fait, dans la photo, il y a deux messages: un sans code et un autre codé, culturel, se développant à partir du premier.

Si le récepteur d'une photo peut faire la part des choses, entre la représentation du réel et les intentions conscientes ou non du photographe, au cinéma, la dénotation même truque systématiquement ce qu'elle représente, ce qu'elle nous montre.

Le travail de montage, base du langage filmique, manipule le réel. Ainsi dans un film, on n'est pas obligé de montrer réellement pour faire voir. Dans une scène à deux personnages, si les deux acteurs ne sont pas disponibles en même temps, on peut tourner la scène en filmant séparément les deux acteurs et au montage on assemblera. Cf. le cas d'un seul acteur jouant deux personnages différents, des jumeaux. De plus l'ordre de présentation des séquences (c.a.d. un ensemble de plans successifs relatifs au même sujet) n'est pas l'ordre du tournage.

Le message littéral d'un film est déjà le résultat d'une construction; le réel du film est loin de la réalité. Ainsi, on songera à l'importance de la reconstitution au cinéma; avant on reconstruisait les décors dans des studios (carton pâte); Pagnol faisait construire des décors en dur dans la nature (fermes...).

Bien des mouvements sont illusoires comme les chevauchées des westerns; le vent et la pluie sont fabriqués. Il faut tenir compte de la puissance de l'illusion technique même dans des films réalistes, sans parler des effets spéciaux des films de Science Fiction. (2001 -L'odyssée de l'espace).

b) Niveau de l'implication diégétique

L'image filmique, image d'un aspect du monde, pas du monde, ne peut pas signifier pleinement par elle-même ; son sens lui est attribué par la fiction dans laquelle elle est incluse: il faut tenir compte de l'axe syntagmatique. Ainsi, le lorgnon du Docteur Smirnov, dans le Cuirassé Potemkine de Serge Eisenstein (1925), accroché à un cordage, tire son sens du contexte et d'un amont sémantique. Il ne peut s'interpréter que dans le cadre d'une ellipse et d'une mise en réseau avec d'autres informations : il y a des inférences à faire, des liens à établir. Au final, le lorgnon, plus qu'un objet dénotant une classe sociale privilégiée, signifie symboliquement la myopie «sociale» du médecin qui refuse de voir certaines réalités que l'oeil de la caméra nous montre «objectifs» et il en est puni.
Pour Eisenstein un gros plan comme celui sur les lorgnons est un élément capable d'éveiller chez les spectateurs la conscience ou le sentiment du tout : le pince-nez du médecin se substitue ainsi à lui ; cet emploi du gros plan produit une figure de style comparable à la synecdoque, exprimant le tout par la représentation de la partie.

D'une manière plus générale, cela s'illustre dans « l'effet Koulechov ». Lev Koulechov, à partir de l'étude de films et d'une série d'expériences, a conclu vers 1922 qu'une image a deux valeurs :
1. sa valeur en tant qu'image photographique;
2. la valeur acquise quand elle est associée à une autre, juxtaposée avec elle.

En partant ainsi d'un plan du visage totalement inexpressif d'un acteur, Mosjoukine, Koulechov, par trois montages différents, dans trois contextes, a obtenu trois significations perceptibles distinctes aux yeux des spectateurs.
Le même plan suivi d'un plan différent n'est plus le même plan.
Associé à l'image d'une assiette ou un bol de soupe, le plan signifie la faim; avec l'image associée d'un cadavre d'enfant dans un cercueil, les spectateurs lisent l'angoisse devant la mort, la tristesse ; enfin, associé à la représentation d'une femme aguichante, on perçoit le désir sur le visage. Pourtant, il s'agit de la même image! A chaque fois les spectateurs estiment que l'artiste a bien su exprimer ou représenter le sentiment en question : Mosjoukine traduit si bien la peur, la faim...
Koulechov a ainsi démontré qu’une image plus une autre faisaient bien, non pas deux images, mais une troisième issue des impressions des deux "mères". Pour construire la signification, il ne s'agit donc pas d'ajouter les deux images, mais plutôt de faire plutôt le produit des deux.

L'image filmique peut ainsi peut donc signifier tout autre chose que ce qu'elle montre. La réalité de l'oeuvre filmique n'est pas ce qui est montré, dénoté, mais ce qui est signifié par le système complexe du film; il faut tenir compte du contexte. L'image ne fonctionne pas comme le mot, signe fixe doté d'un sens lexical ; elle ne correspond pas à une convention définitive. Notons que le mot, actualisé dans un contexte linguistique, dans un texte, peut prendre une valeur particulière qui n'est pas le sens habituel; seuls le contexte situationnel ou le contexte textuel peuvent, par ailleurs, permettre de résoudre la polysémie d'un terme ou de comprendre la présence d'éventuelles connotations : «Passe-moi le rouge.», «J'ai mangé une note.», «Ma cuisinière fume.» = quid ?
En d’autres termes encore ou plus simplement, les images n’ont pas une signification univoque ou intrinsèque, elles ne prennent un sens que les unes par rapport aux autres ou mises dans un contexte. Cela souligne ainsi le rôle décisif du spectateur pour construire activement le sens de ce qu’il reçoit. Les images comme les discours verbaux, les textes littéraires sont susceptibles d’être interprétées. Cf. Umberto Eco, Lector in Fabula.

NB La bande filmique d'origine relative à l'expérience de Koulechov a été perdue.

L'homme à la caméra, D. Vertov, 1928.

Les temps modernes, Ch. Chaplin, 1936.

Ces deux photogrammes semblent ainsi a priori porter le même message et faire de manière allusive apparaître l'homme moderne / le prolétaire des temps industriels comme perdu dans la machine. Mais la simple mise en réseau avec les images voisines (sans parler de remettre le film dans le contexte historique d'émission, de replacer le plan dans la séquence ou l'ensemble du film comme message culturel et idéologique) permet de comprendre que la signification est radicalement opposée.
   
 

Pour Charlie Chaplin, certes, l'homme est réduit à une sorte d'objet englouti par une machine qui l'écrase, le broie. Mais pour Dziga Vertov, les quelques plans en amont du photogramme soulignent la maîtrise de la main de l'homme sur les commandes, les rouages de la machine et les plans suivant montrent la puissance, l'effet de cette main et du regard expert sur la machine mise en fonctionnement. En outre, ces images sont montées en relation avec d'autres images soulignant l'efficace technique du geste humain, souverain. Vision optimiste et futuriste de la machine libératrice au service de l'humanité. Chez Chaplin l'homme est plutôt déshumanisé, pantin inefficace ou automate soumis à une hiérarchie, dans un monde déjà orwellien, écrasé par un système économique, devenu donc un simple objet dans une chaîne taylorienne de production qui l'avale et l'expulse métaphoriquement.

B) Les mentions écrites

Des notations graphiques peuvent apparaître dans l'image, en dehors des oeuvres originales sous-titrées; elles peuvent

a) se substituer carrément à elle : intertitres sur carton ;

b) s'y superposer : sous-titres explicitant le lieu, la date, l'écoulement d'un laps de temps...

c) s'y intégrer : mentions graphiques internes à l'image, lues par la caméra, éventuellement via le regard d'un personnage (banderoles, lettres ou télégrammes en gros plan, pancartes, enseignes...).Cf. les divers emplois suivants dans Citizen Kane d'O. Welles.

Aux origines, le cinéma muet avait besoin d'insérer l'écriture dans l'image pour pallier l'absence de bande sonore. Aujourd'hui, on notera l'importance du texte au début et à la fin du film avec le générique, la distribution, les "crédits", des avertissements, des rappels historiques... On peut mêler texte et images, les superposer. Parfois le générique, outre qu'il ancre souvent dans un genre filmique et le signifie aux spectateurs, peut déjà jouer un rôle dans la diégèse, c.a.d. l'économie générale du récit : ainsi, dans les Chasses du comte Zaroff (The most dangerous game), de E.B. Schoedsack et I. Pichel, on peut lire une annonce, un élément prédestinateur dans certaines images. De même, pour The Big Sleep de H. Hawks, l'image des deux acteurs derrière le titre, associée aux deux cigarettes côte à côte, annonce de façon cataphorique la formation ultérieure du couple. Le générique prend alors une fonction «programmatique» qui relaie une éventuelle affiche ou une bande annonce; il permet aux destinataires d'anticiper comme au réalisateur d'accrocher par là son public.

Parfois, un texte dit par une voix off s'affiche au début du film ou d'une séquence, situant l'espace historique ou géographique... Ce texte peut occuper tout l'écran ou s'inscrire dans une partie de l'image. Voir un exemple d'une « séquence générique » à l'ouverture des Liaisons dangereuses de Stephen Frears.

Les mentions écrites internes font aussi partie du décor, elles participent à l'effet de réel.

C) Le son phonique

On notera que durant une longue période le cinéma est resté muet, ce qui ne l'a pas empêché de produire des chefs d'oeuvre. Alors, des intertitres, des cartons, étaient nécessaires à la compréhension du film, à la présentation minimale des éléments de discours des personnages. Au début du parlant, selon certains, on avait une nette prédominance des bruits, des sons par rapport au dialogue, dans beaucoup de films.

Le rôle du message linguistique par rapport à l'image est variable et complexe. On peut distinguer deux grandes fonctions:

a) la fonction d'ancrage: le texte indique la direction d'un signifié précis; on limite la polysémie d'une image, on lève une ambiguïté. Ce cas est rare au cinéma (mais cf. photo de presse) et se traduit dans le recours à une voix off (voir plus bas).

b) la fonction de relais: le message linguistique seconde l'image dans la production d'un sens en rapport avec l'histoire racontée; le dialogue, bien conçu, bien utilisé, a un rôle complémentaire et non de redondance par rapport à l'image, il fait avancer l'action, donne des informations pertinentes.

On remarquera que bien souvent le son est postsynchronisé, refait en laboratoire et mixé savamment; il n'est pas naturel, spontané. Pour les films étrangers, il faut avoir à l'esprit que les acteurs sont doublés (V.O. / V.F.).

D) Bruits

On constatera qu'un grand nombre de bruits de la vie réelle ne sont pas naturels, mais produits plus ou moins directement par les hommes, c.a.d. qu'ils ont une origine sociale et par conséquent un sens social. Les bruits d'un film ne sont pas d'ailleurs une reproduction pure et simple des bruits extérieurs: ils sont élaborés en laboratoire, parfois truqués (cf. le bruitage). Une sélection, en pratique, s'impose car les bruits ne doivent pas, en principe, perturber la perception des sons phoniques, des dialogues; si cela se fait, il y a une intention.

Fréquemment, certains sons sont modifié en laboratoire: par exemple, on amplifie les paroles pour les rendre distinctes. Paradoxalement, les bruits d'un film ne sont pas de simples bruits et pas des « bruits » au sens linguistique du terme, c.a.d. des éléments entraînant une mauvaise transmission ou réception du message. Au lieu d'amener une perte d'informations, ils sont au contraire signifiants. De même, le silence peut être éloquent/ signifiant en termes de tension, menace...

Les bruits entrent en relation avec l'image, le son phonique et la musique via le mixage. Dans le film on constate une interdépendance sonore et plus généralement une interdépendance sémantique systématique : tous les éléments concourent à la production du sens. Les bruits comme la musique contribuent ainsi à la perception de la situation, à l'interprétation du contexte par le spectateur ou ils aident encore à caractériser un personnage.

E) La musique

Elle a joué un grand rôle à l'époque du muet ; non seulement les acteurs jouaient accompagnés d'un violon etc., mais à la projection un piano ou un disque... accompagnait le film; la musique n'était pas synchronisée. Actuellement deux grandes possibilités d'utilisation s'affirment:

1) rapport de redondance par rapport au visuel et au son; la musique double, renforce l'image et le discours: ainsi les violons langoureux commentent la scène d'amour, les trompettes accompagnent la scène guerrière... Naturellement tout cela reste codé, marqué par le culturel.

2) rapport de contraste: on peut noter des effets d'antithèse; ainsi un accordéon guilleret illustre une scène d'enterrement. Voir dans ce registre le générique de Gervaise de René Clément qui met en opposition des images "sombres", renvoyant à un univers carcéral avec les grilles du chantier, et une musique allègre et festive de cabaret.

Une troisième fonction peut exister selon J. Mitry : parfois la musique ne paraphrase pas l'image ; elle ne vaut pas non plus pour elle-même, son intrusion à un moment donné a une signification, rien de plus, mais elle tire sa force rapportée aux autres éléments (son, bruits, images).

La musique a donc plusieurs fonctions :
- elle soutient l'action,
- elle accompagne l'expression des sentiments,
- elle ponctue le film : elle prévient, annonce...

F) Les catégories de sons

On peut classer les sons présents dans un film en fonction de leur place, de la zone où on peut les situer.

1) Certains sons prennent ainsi place dans l'histoire racontée : ce sont les bruits, les sons, la musique, les paroles qui existent dans l'univers représenté, dans le cadre diégétique donc.

2) D'autres sont extérieurs à l'histoire et relèvent du récit, ils sont rajoutés après le tournage comme la musique d'accompagnement ou la voix off ; ils sont dits extradiégétiques.

Selon Michel Chion, un son «off» est proprement un son dont la source supposée est non seulement absente de l'image, mais aussi non-diégétique, c'est-à-dire située en un autre temps et un autre lieu que la situation directement évoquée : cas très répandu, des voix de commentaire ou de narration, dites en anglais « voice-over» , et bien sûr de la musique de fosse.

3) On observera que certains sons trouvent leur origine, leur source d'émission dans le cadre de l'image : on parle alors de sons "IN". D'autres sons restent extérieurs et renvoient à ce qui n'est pas inclus dans le champ, mais ils existent dans l'univers représenté, on dit alors qu'ils sont des sons "HORS CHAMP". Une voix hors-champ, par exemple, est celle d'un personnage présent dans la situation évoquée à l'écran, mais ne se trouvant pas dans le champ de la caméra. L'usage de cette voix invite le spectateur à imaginer l'espace extérieur à celui de l'écran.
Les sons rajoutés a posteriori sont qualifiés de sons "OFF".

Pierre Schaeffer dit d’un son qu’il est acousmatique quand il s’agit d’un son que l’on entend mais sans voir sa cause productrice (Traité des objets musicaux, Seuil, 1966). Les sons acousmatiques sont des sons diégétiques et des sons non diégétiques ; ils ne sont pas émis dans le champ de l'image : c'est un ensemble constitué par les sons hors champ de la diégèse et les sons off rajoutés après le tournage.

G) Sons et temporalité

Par ailleurs, sur le plan de la temporalité, si l'on suit David Bordwell et Kristin Thompson (Film Art: An Introduction, 1979 et réédit.), on peut observer que les sons diégétiques et non-diégétiques peuvent être dans un rapport de simultanéité, de concomitance avec l'image ou de non-simultanéité, qu'ils soient décalés parce qu'ils renvoient à un moment antérieur ou parce qu'ils font référence à un autre moment postérieur à celui montré par l'image.

La musique, les bruits ou les paroles en provenance de l'univers de l'histoire peuvent, bien entendu, sembler nous parvenir en même temps que les images, synchrones, ou plutôt être issus du même moment de référence.

Mais le son peut venir d'un moment antérieur à celui représenté par l'image ; on pourrait parler alors de « son rétrospectif » (sound flash-back) comme à la fin d'Accident (1967) de Joseph Losey : on entend sur un plan du portail d'une demeure ouvrant sur une allée le bruit d'un accident de voiture, celui du début du film. Le récit filmique, en effet, part d'un accident automobile et remonte le temps pour évoquer les événements qui l'ont précédé.

Parfois aussi, avec des images proleptiques (image flash-forward), le son peut servir de lien, de transition entre deux scènes : on continue ainsi par exemple d'entendre le son de la scène précédente alors que l'on voit déjà des images de la scène suivante. Cf. en ce domaine la musique dans Short Cuts d'Altman.

Le son, au contraire, peut se rattacher à un moment postérieur à celui présenté par l'image à l'écran. Les images (image flash-back) renvoient à un moment passé, antérieur au moment du son, celui d'un présent ou d'un passé plus récent. Des exemples canoniques sont à chercher dans les documentaires ou dans des fictions relatant un procès : la bande son présente alors le récit d'un témoin pendant que l'image nous ramène dans le passé. L'image illustre le récit rétrospectif du passé ou la parole commente les images de celui-ci ; ainsi, la voix off d'un narrateur peut commenter a posteriori comme dans la Splendeur des Amberson (1946) d'O. Welles.
Enfin, le son peut être proleptique (sound flash-forward) : les images vues à l'écran désignent un présent et le son qui les accompagne appartient à une scène ultérieure. Dans Bande à part (1964) de J.-L. Godard, on entend ainsi comme un leitmotiv un tigre rugir pendant plusieurs scènes avant de finir par le voir paraître à l'image.